BENOIT
LES ANONYMES QUE MURIELLE VANHOVE CROQUE ET DÉSTRUCTURE À VOLONTÉ, AU-DELÀ DE LA FIGURATION, S’IMPOSENT AUTANT PAR LE MOUVEMENT, LES JEUX DE COULEURS, LA LUMIÈRE… QUE LA POÉSIE NARRATIVE.
Par Gabrielle Gauthier
Diplômée de l’École Supérieure d’Arts Graphiques Penninghen où elle a reçu un enseignement complet de peinture, de dessin et de photographie, et après avoir œuvré dix ans en agences de publicité, Murielle Vanhove abandonne l’écran « au profit de la brosse et du pinceau » pour enfin renouer avec la matière, l’aquarelle mais aussi l’acrylique, et croquer des instants de vie où le mouvement et la lumière transcendent l’histoire qui s’écrit sur la toile.
Une touche « romanesque »
À travers ses portraits sans visage évoluant dans des scènes de vie ordinaires, l’artiste nous révèle des attitudes, saisit des instants qu’elle impose d’un geste à la fois léger et violent, déstructurant ses compositions en brouillant la ligne, en cassant les contours, en liant les tons. Travaillant à la brosse, elle joue de quelques couleurs « fétiches » sélectionnées « pour leur qualité d’opacité ou, au contraire, de transparence », des contrastes, des vides et des pleins pour des toiles aussi vibrantes que dynamiques. Et l’énergie narrative qui se dégage de ses œuvres s’impose à nous, comme une évidence.
Qu’est-ce qui vous fascine dans les scènes de vie que vous croquez ?
L’énergie qu’elles dégagent. J’essaie de capturer l’instant, fugace mais familier, de nos vies en accéléré. Une représentation mouvante, fluide et vitale de corps, arrêtés dans un moment de vie quotidienne, dont on peut imaginer les instants précédents et suivants. J’aime saisir dans l’intemporel les bribes d’une histoire que chacun peut reconnaître ou se plaire à interpréter au travers d’une sorte de reportage pictural de notre société. Je suis sensible à mon époque, à ses codes autant qu’à la figuration humaine.
Comment s’imposent-elles à vous ?
J’ai toujours été fascinée par la dynamique des villes et le travelling urbain. Adolescente déjà, j’observais les gens aller et venir dans la brasserie parisienne de mes parents. Cachée derrière mes carnets de dessin, je croquais cette énergie du rush où se bouscule et se croise une foule d’anonymes.
Vos personnages n’ont pas de « visage ». Est-ce pour mettre en core plus en avant les attitudes ?
Privés de visages, ils s’imposent au spectateur dans l’anonymat et n’ont pour seuls signes distinctifs que leurs démarches, attitudes ou vêtements. Leur profil nous semble ainsi familier mais nous est aussi entièrement laissé libre d’interprétation. Je travaille sur l’identité et pourtant, tous mes personnages en sont privés. En m’attachant à leur corps en mouvement, je montre des instants, laisse deviner des personnalités et garde une grande plage de mystère pour que le spectateur puisse inventer, à partir de ce qui lui est montré, ses propres histoires. Se mouvant parfois en hors-champ, les passants apparaissent, disparaissent, entrent et sortent de la toile comme sur les
planches d’un théâtre.
Votre « touche » est tout à fait singulière. Pouvez vous nous en parler ?
Elle est avant tout très gestuelle, légère et violente à la fois. Elle rythme des passages fluides sur la toile et parallèlement amène beaucoup de force au tableau. J’essaie de donner par cette touche une énergie particulière à ma peinture.
Votre recherche picturale porte notamment sur le mouvement, les jeux de couleurs et la lumière. Comment parvenez-vous à cet « éclat lumineux » que l’on retrouve sur vos toiles ?
Mon regard se porte davantage sur le mouvement des choses, que les choses en elles-mêmes. Dans le Manifeste des Peintres futuristes est écrit : « Tout bouge, tout court, tout se transforme rapidement. Un profil n’est jamais immobile devant nous, mais il apparaît et disparaît sans cesse. Étant donné la persistance de l’image dans la rétine, les objets en mouvement se multiplient, se déforment en se poursuivant, comme des vibrations précipitées, dans l’espace qu’ils parcourent ». Alors j’ai regardé les traînées de lumières, les éclats aveuglants. Et j’ai commencé mon parcours de peintre par l’aquarelle qui compose, plus que tout autre médium, avec la lumière.
Parlez-nous de votre technique…
Bizarrement, je commence par la couleur et termine par les valeurs, à l’opposé de la technique de la peinture à l’huile. J’aime peindre dans l’urgence et la spontanéité, et j’ai trouvé dans l’acrylique un médium assez nerveux permettant de libérer mon écriture. Toutefois, si mon geste est rapide, chaque œuvre nécessite des heures de travail car j’y retourne très souvent : je peins, je m’arrête, j’y reviens, je prends de la distance, retouche le tableau et répète le processus jusqu’à ce que je sois pleinement satisfaite de chaque touche.
Votre style est ainsi unique. Mais comment le définiriez-vous ?
Au-delà de la figuration, c’est avant tout la représentation déstructurée du mouvement qui m’intéresse alors je saccade, je brouille la ligne, j’efface, je casse les contours, j’adoucis les tons… Sous une apparente légèreté, je cherche à saisir l’instant. Je dirais un style fort et léger à la fois, contrasté.
Que souhaitez-vous « transmettre » à travers vos œuvres ?
Rien de plus que l’énergie, vitale, des gens.
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